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Par-delà les frontières linguistiques belges et néerlandaises, le secteur médical est en pleine évolution. Dans ce deuxième épisode, Smarthealth s'est entretenue avec deux entrepreneurs pour parler des différences et des similitudes présentes dans les soins de santé numériques en Belgique et aux Pays-Bas. Rencontre avec Tom Van De Putte et Sander Bijl.
La place et le besoin d'innovations dans le secteur des soins de santé sont grands. Tom Van De Putte, le cofondateur de la société belge Bingli et Sander Bijl, le directeur opérationnel de la plateforme de communication néerlandaise BeterDichtbij, s’accordent totalement sur ce point-là. Le premier a souhaité créer Bingli pour améliorer les conditions des consultations médicales. « Une visite chez un médecin prend trop de temps. Bien souvent, les praticiens, tout comme les patients, sont frustrés du déroulé de leurs échanges. Les médecins doivent optimiser leur temps. Ils interrompent fréquemment trop rapidement. Les malades, quant à eux, ne peuvent pas non plus raconter tous les détails de leur histoire… C’est là où Bingli peut faire la différence. Notre plateforme permet aux personnes d’arriver mieux préparées et les médecins ont accès à des informations précieuses avant même d’avoir vu leurs patients. Ainsi, Bingli a entrepris de rendre l'anamnèse plus fluide, plus efficace et plus rapide au moyen d'un chatbot intelligent. »
La start-up belge existe depuis plus de quatre ans maintenant. Tom Van De Putte a donc déjà une grande expérience du secteur belge des soins de santé. Il en est de même pour Sander Bijl, qui est là depuis la création de BeterDichtbij. « Notre raison d'exister est principalement liée aux recherches menées dans les hôpitaux néerlandais afin d’offrir des services numériques efficaces aux patients. Nous avons entrepris nos démarches au même moment où la numérisation se déroulait sans heurts dans les banques, les compagnies aériennes, les supermarchés, etc. Nous souhaitions donc participer à cette évolution dans le secteur médical. Désormais, grâce à nos outils, les patients peuvent facilement communiquer avec leur médecin via leur téléphone portable. »
Les consommateurs néerlandais ou belges ont-ils l’habitude d’utiliser des outils numériques pour contacter leur médecin ?
Tom Van De Putte : Les médecins ou les hôpitaux - qu'ils soient belges ou néerlandais – font autorité. Ils ont donc d’influence. La plupart des patients suivront leurs recommandations. C'est le premier pas pour promouvoir l’utilisation des plateformes numériques. Une fois que les personnes y ont eu recours, elles sont généralement satisfaites de la facilité d'utilisation. De plus, elles se sentent « plus à l'aise » pour consulter leur médecin. Vous avez ainsi une consultation beaucoup plus qualitative.
Avec les médecins et les établissements de soins, c’est une autre histoire. La numérisation n’est pas aussi facile à développer. La majorité des professionnels de santé est réticente à avoir recours à des innovations. De plus, Sander souligne un point important : les banques, les compagnies aériennes et les supermarchés ont commencé leurs transitions digitales depuis longtemps. Toutefois, elles n’avaient pas vraiment le choix, puisque ces entreprises traitent d’informations sensibles. Dans le secteur médical, certes les données sont aussi sensibles, mais la numérisation des soins n’a pas été pleinement acceptée.
Sander Bijl : Selon moi, cette situation s'applique aussi largement aux Pays-Bas. Et c’est seulement maintenant que la numérisation des soins prend de la vitesse. D’ailleurs, les patients sont extrêmement enthousiastes. Ils apprécient pouvoir contacter immédiatement par message leur médecin. Cette accessibilité simplifiée, c'est clairement notre fonctionnalité de base. Aussi, sur le plan psychologique, cela les rassure de savoir qu'ils ont leur médecin toujours à portée de main. Ils ont l’impression d’avoir en permanence accès à leur médecin, peu importe où ils se trouvent.
Aux Pays-Bas, les médecins étaient aussi réticents au début de notre déploiement. Ils avaient l'impression que cela allait engendrer un travail supplémentaire. En parallèle, nous avons donc travaillé avec la moitié des hôpitaux néerlandais. C’est ainsi qu’ils ont peu à peu remarqué que notre solution leur faisait gagner du temps. En effet, grâce à nos services, ils se sont rendu compte que certaines consultations n'étaient plus nécessaires. Ils pouvaient simplement traiter certaines questions via l'application. Aujourd'hui, on constate lentement - bien sûr aussi grâce aux mesures relatives au coronavirus - que de plus en plus de médecins néerlandais prônent l'innovation.
Cela signifie-t-il que le secteur médical néerlandais s'est lancé
dans la digitalisation des soins beaucoup plus rapidement
que celui de la Belgique ?
Tom Van De Putte : En Belgique, il faut reconnaître qu’elle s'est généralisée dans une certaine mesure. Le problème est que les outils numériques ne sont pas tous intuitifs. Et la complexité de leur utilisation donne finalement une mauvaise image de la numérisation des soins de santé. Ces systèmes peu pratiques entraînent finalement d'énormes retards. Surtout sur le plan administratif où cela implique beaucoup de choses. Ainsi, les médecins et les hôpitaux ont généralement une expérience très négative des logiciels.
Il ne s’agit pas uniquement d’un problème d’évolution de mentalités. Finalement, c’est rassurant de travailler avec des outils que vous connaissiez déjà depuis des années. Les médecins et hôpitaux refusent donc souvent de s'en écarter, de peur de devoir compenser la complexité des nouveaux logiciels. Cette réticence est problématique. En tant qu'entreprise, lorsque vous sollicitez un établissement de soins, vous suscitez immédiatement des réserves en raison d'expériences négatives antérieures.
Sander Bijl : C’est un sentiment familier ! Voilà pourquoi, dès le départ, nous avons mis l'accent sur l'intégration. Nous devions faciliter autant que possible le développement de nos outils. Les médecins devaient pouvoir les inclure sans heurts. Ainsi, pour l’implantation de nos systèmes BeterDichtbij dans les hôpitaux, tout devait se faire sans aucune friction. Et nous avons eu la chance de pouvoir commencer immédiatement avec 28 hôpitaux néerlandais qui nous ont fait confiance. Parmi eux, environ 25 utilisent ChipSoft, une plateforme d'information numérique pour les hôpitaux, GVM.
Quel a été l’impact du coronavirus sur l’évolution de la digitalisation
du secteur médical en Belgique et aux Pays-Bas ?
Sander Bijl : BeterDichtbij est opérationnel depuis 2018. Notre outil était donc déjà bien implanté avant la pandémie. Il nous a fallu environ deux ans pour obtenir nos 40 000 premiers utilisateurs. Durant la pandémie, nous avons atteint le même nombre en seulement deux mois ! C’est surtout lors de la première vague que nos services ont soudainement été sur-sollicités. Finalement, ce pic est assez logique. Nous disposions des dispositifs dont les patients et les médecins avaient besoin. Je pense notamment aux appels vidéo et à la messagerie.
Cependant, cela a quand même été contraignant. D’un coup, tout le monde souhaitait utiliser ce type de service. Nous sommes donc passés d’une digitalisation progressive à une digitalisation accélérée à la vitesse de l’éclair. Pour certains nouveaux utilisateurs, BeterDichtbij représentait un service de substitution à une visite physique. Nous avons ensuite entrepris des démarches auprès des hôpitaux pour déterminer les possibilités à mettre en place pour développer leurs services numériques modernes. Autrement dit, nous souhaitons pérenniser BeterDichtbij et faire en sorte qu’il devienne un outil pratique, y compris après la pandémie.
Tom Van De Putte : Pour Bingli, la réalité fut tout autre. Notre application prépare les patients à une consultation physique dans le cadre des soins de première ou de deuxième ligne. Ainsi, nous ne nous concentrons pas actuellement sur la télésanté ou les consultations vidéo numériques. Si je ne me trompe pas, la plupart des institutions de santé en Belgique sont profondément dans le rouge financièrement. On estime une perte cumulée d’environ deux milliards d’euros. Même si vous trouvez une solution permettant de réduire les coûts, vous devez d'abord réaliser un investissement considérable. Et lorsque vous n'avez pas d'argent au départ, il est difficile d'investir dans de nouvelles choses.
La crise induite par le coronavirus a donc simplement
ralenti la digitalisation des soins ?
Tom Van De Putte : C'est plus complexe que ça. La crise nous a d’abord fait atteindre un point de non-retour. Car depuis la mise en place des mesures anti-covid, le profit, l'efficacité, la capacité et la facilité d'utilisation qu'apporte la numérisation ne sont plus à prouver. Mais elle a aussi démontré qu’elle ne pouvait pas servir d’alternative unique. Prenez le cas de la télésanté : elle peut s’avérer utile dans bien des situations. Cependant, elle ne remplacera jamais les consultations physiques. En effet, pour de nombreux cas, une auscultation chez le médecin ou un échange en personne seront nécessaires. Ainsi, la pandémie a marqué d’une manière ou d’une autre l’évolution de la digitalisation. Aujourd’hui, cela reste toutefois assez difficile de déterminer quels sont les bons investissements nécessaires dans les innovations.
Finalement, ce qui est important, c'est que le patient ait toujours le choix. Pour nous, il importe peu que la consultation ait lieu en présentiel ou à distance. Ce qui compte vraiment, c'est la préparation. Il est crucial d’avoir conscience que nous allons vers une gigantesque pénurie de médecins. Peut-être pas tout de suite en Belgique, mais aux Pays-Bas certaines régions connaissent déjà des problèmes aigus. Nous n'aurons donc pas d'autre solution que d’optimiser les tâches des soignants par des moyens numériques.
Sander Bijl : Je suis tout à fait d'accord. Je pense que le numérique sera toujours au service d'une consultation physique. Ce que nous voulons faire, par exemple, c'est enrichir la boîte à outils du prestataire de soins de santé en lui offrant davantage de possibilités. Et cette expansion doit servir à obtenir une meilleure relation entre les patients et les médecins. À l'avenir, nous serons en mesure de faire toutes sortes de choses grâce aux chatbots et à l'IA, mais cette relation sera toujours à la base. Il n'est pas question que les consultations médicales soient uniquement numériques. Ce n’est d’ailleurs le souhait de personne.
Quels sont les changements les plus importants dans
les soins de santé que vous avez vous-même remarqués ?
Sander Bijl : Ce qui a été très important aux Pays-Bas ces dernières années, c'est l'Autorité néerlandaise des soins de santé (NZa). Elle doit réfléchir activement aux possibilités à mettre en place. Je pense, entre autres, aux consultations vidéo et écrites qui peuvent désormais être déclarées et rémunérées. Il n’est pas question ici de faire du profit, mais bien d’être rémunéré pour le travail fourni. La NZa joue également un rôle très actif en examinant les évolutions en cours et la manière dont nous pouvons adapter les déclarations en conséquence. De plus en plus d'hôpitaux réfléchissent aux options pour élargir leurs champs d'action. Peuvent-ils répartir une partie des soins sur les patients ? Peuvent-ils les orienter plus rapidement vers leur médecin généraliste ? Un suivi à distance est-il possible ? Les hôpitaux doivent penser en dehors du cadre de l'hôpital.
Tom Van De Putte : En effet, cette quête d'efficacité s'installe. Or, il y a encore beaucoup de choses à améliorer : un meilleur triage, une orientation plus rapide, moins de longs séjours à l'hôpital, etc. L'innovation peut certainement jouer un rôle dans ces domaines. Bien sûr, ce qui pose souvent un problème aux hôpitaux, c'est qu'ils doivent séparer le bon grain de l'ivraie. Toutes ces innovations se veulent prometteuses, mais lesquelles sont les plus pertinentes ? Je constate également une évolution de l’offre de logiciels. Et cela même en dehors du secteur médical. À un moment donné, cette technologie sera également utile aux hôpitaux, qui devront investir. Tenter d’arrêter la digitalisation des soins, ou de la retarder, n'est pas une bonne solution. Quelle que soit la façon vous l’envisagez, l'innovation sera toujours présente. Ainsi, soit vous évoluez en même temps qu’elle, soit vous le ferez plus tard. Mais quoi qu’il arrive, l'ère numérique est en marche. Elle est tout simplement inévitable.
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