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L’affaire Theranos, considérée comme l’une des plus grandes escroqueries de l’histoire de la Silicon Valley, débute ce mercredi. Sur les bancs des accusés, Elizabeth Holmes, fondatrice de la société de tests sanguins. Soupçonnée de fraudes et d’association de malfaiteurs, elle risque jusqu’à 20 ans de prison.
Elizabeth Holmes a déjà été accusée en 2018 d’avoir trompé les investisseurs en mentant sur la situation financière de Theranos, mais son procès a été retardé (notamment à cause de la pandémie et de sa grossesse). Il débute ainsi aujourd’hui avec un jury composé de sept hommes et cinq femmes. La fondatrice de la start-up est accusée d'avoir fait de fausses déclarations sur la technologie, le modèle économique et les performances financières de Theranos. Ses méthodes, décrites comme révolutionnaires, étaient censées permettre jusqu’à 200 analyses à partir de quelques gouttes de sang. Finalement, les machines n’ont jamais fonctionné et seuls 12 tests sur les 200 promis ont été effectués. Il s'agit d'une fraude qui implique 700 millions de dollars d'investisseurs dupés et aussi de nombreux patients ayant subi des dommages physiques, mentaux et financiers.
Couplable ou non coupable ?
La défense compte plaider que l’associé et ex-petit ami d’Elizabeth Holmes, Ramesh Balwani, de 19 ans son aîné, la contrôlait et abusait d’elle psychologiquement. D’après Kevin Downey, l’avocat de la fondatrice de Theranos, il avait fait de fausses promesses sur les capacités des appareils développés par la start-up. Ramesh Balwani dément totalement ces faits et devra comparaître devant le tribunal l'année prochaine pour fraude. La défense soutiendra probablement aussi qu’Elizabeth Holmes était persuadée que la technologie fonctionnait, mais qu'elle n’avait pas les compétences pour comprendre la science complexe qui la sous-tendait. Le procès est parti pour durer environ quatre mois et le jury sélectionné aura la lourde charge de déterminer si elle est réellement coupable ou innocente.
Révolutionner le processus du diagnostic
Elizabeth Holmes a étudié à la célèbre université de Stanford et a décidé de créer sa propre entreprise à l'âge de 19 ans. Elle souhaitait révolutionner le marché des prises de sang, en utilisant la technologie des laboratoires sur puce. Les termes
« thérapie » et « diagnostic » constituaient ses piliers d’action et ont d’ailleurs inspiré le nom de l'entreprise lors de sa création en 2003 : Theranos. L'idée d’origine était d’élaborer un test sanguin unique et multifonction qui, avec quelques gouttes de sang seulement, permettrait de détecter des dizaines de maladies telles que le cancer et le diabète. Pour y parvenir, la fondatrice comptait développer un équipement de laboratoire innovant de la taille d'un four à micro-ondes capable d’analyser les flux sanguins à la vitesse de l'éclair. Ainsi, elle présente sa solution comme celle qui va permettre de vivre dans un monde où
« personne n’aura besoin de dire au revoir trop tôt ». Sa solution permettrait non seulement de réduire les coûts des soins de santé, mais aussi de détecter les maladies à un stade précoce.
Convaincre les investisseurs
Très vite les Américains s’entichent de la jeune femme qui connaît les codes des grands investisseurs. Theranos intrigue au point d’être valorisé à 9 milliards de dollars. Elizabeth Holmes devient alors la plus jeune milliardaire à ne pas avoir hérité d’une fortune. Elle vit littéralement le rêve américain et fait même la Une du magazine Fortune. L'entreprise se développe ainsi à une allure folle et lève plus de 700 millions de dollars de capitaux. Theranos s’agrandit en élaborant de grandes campagnes médiatiques et en incitant les politiciens à autoriser le secteur commercial à proposer des tests directs aux consommateurs, sans l'intervention d'un professionnel de la santé. Theranos s’associe avec la société Walgreen et une grande chaîne de supermarchés. Les premiers tests sanguins hors établissement de soins commencent. Les personnes faisant du shopping peuvent désormais se faire dépister en quelques minutes. Ainsi, 176 000 patients auront recours à ce nouveau dispositif développé par la société
Critique des médecins et du Wall Street Journal
Mais en 2015, tout bascule. Ce sont d'abord des professionnels de la santé, dont John Ioannidis et Eleftherios Diamandis, qui dénoncent le manque de clarté des innovations utilisées. Ils affirment également que les tests ne sont pas fiables. Ils évoquent le manque de preuves scientifiques. Puis c’est au tour du Wall Street Journal (WSJ) de remettre en question le concept de Theranos. L’article publié affirme que l'entreprise serait dépendante des équipements de laboratoire traditionnels, et n’utilise pas les technologies innovantes dont elle vend les mérites. La technique brevetée semble d’ailleurs n’être implantée que dans un tout petit nombre des 200 laboratoires chargés d’analyser les tests.
Un employé de Theranos signale également les abus en interne, mais n’est pas entendu. Il deviendra par la suite, une source importante pour le journal. La société tente de se défendre en vain en envoyant des avocats coûteux pour faire face aux critiques. Ils évoquent alors que les déclarations du Wall Street Journal sont fausses et scientifiquement incorrectes.
Intervention des autoritaires sanitaires
Ces dénonciations attirent l’attention des autorités sanitaires américaines qui étaient déjà méfiantes. Un seul des tests sanguins de Theranos avait été approuvé : celui pour la détecter un herpès. Et même ce dernier n’était pas totalement fiable. La société a d’ailleurs reçu beaucoup de plaintes à son sujet. Après la pression de la FDA, Theranos décide donc de ne plus le proposer.
L’équipement révolutionnaire a été vendu avant même d’avoir été construit. De nombreux médecins ont considéré les résultats de laboratoire de Theranos comme acquis, ce qui a eu des conséquences dramatiques sur les patients qui ont reçu des résultats de tests inexacts. Certains d’entre eux ont été diagnostiqués positifs à une maladie auto-immune, alors qu’ils ne l’étaient pas.
Les autorités sanitaires finissent par interdire la solution de dépistage développée par l'entreprise. Des investisseurs se retournent contre la société et des patients commencent à attaquer Theranos. Ils réclament notamment des dédommagements financiers pour les dommages médicaux causés par un mauvais diagnostic. En 2018, Elizabeth Holmes finit par démissionner. Theranos est finalement dissoute, et l'entrepreneuse est inculpée pour fraudes.
Si vous voulez en savoir plus sur ce scandale, vous pouvez découvrir tous les détails de l’affaire dans le livre Bad Blood écrit par John Carreyrou. Le journaliste du WSJ est à l’origine de l’enquête qui a percé au grand jour la supercherie. Vous pouvez aussi visionner le documentaire disponible sur HBO : The Inventor : Out for Blood in Silicon Valley. Quant au sort d’Elizabeth Holmes, il sera déterminé d’ici quelques semaines.
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