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Si l’ère de la digitalisation est en marche depuis quelques années, y compris dans les milieux médicaux, la Belgique est encore à la traîne. Cependant, la crise du coronavirus a accéléré la numérisation des soins de santé mentale. La nécessité sanitaire a ainsi permis de rapidement mettre en place de nouveaux dispositifs. Avis médicaux par téléphone, téléconsultations, utilisation d’applications de santé ou encore commande de médicaments en ligne, c’est une véritable révolution aussi bien pour les professionnels de santé que pour les patients pris en charge.
La pandémie mondiale a particulièrement touché les personnes fragiles. D’après plusieurs rapports, elle a grandement affecté la santé mentale de la population néerlandaise, rendant parfois difficile le suivi des patients. Les soins de santé mentale n’étant pas une priorité dans la gestion de la crise du coronavirus, beaucoup de personnes ont dû longuement patienter avant de pouvoir être prises en charge en Belgique.
La crise du coronavirus a ainsi nécessité des ajustements. Elle a notamment permis d’introduire de nouveaux outils connectés et d’accélérer la mise en place de la numérisation des soins de santé mentale en Belgique. Une étude a démontré qu’à cause de l'épidémie de la COVID-19, de grands groupes de prestataires de soins ont dû utiliser pour la première fois la technologie numérique, comme les outils d'appel vidéo et les applications de cybersanté mentale. Diverses études confirment que la gestion de cette crise inattendue représente clairement un point de basculement pour l'intégration à venir de technologies connectées dans les soins de santé.
Cependant, dans le cas des troubles mentaux, l’utilisation de ces applications santé n’est pas sans risque. Beaucoup se demandent si elles sont vraiment efficaces pour tous ? Selon Eva Rens (UAntwerpen), étudiante en doctorat et psychologue de recherche, la cybersanté sous forme de psychoéducation ou de suivi des plaintes avec rétroaction peut être très utile pour les personnes qui souffrent de troubles mentaux légers à modérés. « De telles applications sont de bonnes solutions pour rendre les premiers soins accessibles et faire de la prévention, mais elles ne peuvent pas constituer un substitut à une aide spécialisée ou à un processus psychothérapeutique à part entière », nuance-t-elle. Elles sont donc utiles pour établir un premier diagnostic et prescrire un traitement rapide à des problèmes psychologiques légers ou modérés, non complexes ou pour assurer le suivi de troubles chroniques stables.
La cybersanté, une solution qui pourrait changer la donne
Si selon Eurostat, les systèmes de santé néerlandais et belges obtiennent de bons scores en ce qui concerne la valorisation des soins de santé, cela ne signifie pas que tout fonctionne au mieux dans toutes les branches. Eva Rens note notamment qu'il existe encore de nombreux défauts dans différents secteurs. Par exemple, les soins de santé mentale en Belgique sont actuellement inaccessibles à de nombreuses personnes, souligne-t-elle. Les mesures à prendre avant l'admission dans un hôpital psychiatrique - comme une consultation avec un psychologue ou un psychiatre - ne sont pas systématiquement proposées dans la majorité des établissements de santé. Elle poursuit en rappelant que «Le remboursement des psychothérapies reste très limité, qu’il existe une longue file d’attente entre 1 à 2 ans pour être soigné au Centre flamand de soins de santé mentale (CGG) et qu’en plus les consultations psychiatriques sont surfacturées.»
C’est là où les innovations technologiques de la santé peuvent offrir une solution, même partielle ou complémentaire. Aux Pays Bas, en plus des organisations classiques de soins de santé mentale, il existe déjà de nombreuses plateformes de cybersanté pour les premiers soins. Comme Mentaal Beter, l’un des premiers prestataires de services de santé mentale en ambulatoire qui utilise la digitalisation pour soutenir ou améliorer la santé et les soins. Il propose, en plus des traitements habituels, des téléconsultations ou encore de suivre une thérapie en ligne afin de mieux gérer le suivi des patients.
Des enjeux économiques non négligeables
Ces dernières années, il est frappant de constater à quel point les plateformes et applications de cybersanté aux Pays-Bas attirent de plus en plus l'attention d’investisseurs. Le capital-risque représente ainsi un fort enjeu économique pour beaucoup de sociétés n’ayant pas encore trouvé leur point d’équilibre. C’est le cas de la société néerlandaise fondée en 2008 Minddistrict, ancien leader du marché des plateformes de cybersanté pour les soins de santé mentale. Elle a débuté avec des capitaux de sociétés d'investissement. Des entreprises telles que Holland Capital et l'assureur maladie CbusineZ ne cachent pas d’ailleurs leur souhait d’investir dans des projets innovants comme ceux qui touchent aux traitements de la santé mentale de la population.
Beaucoup d’entreprises y voient un nouveau secteur rentable à exploiter. Au début de cette année, la société d'investissement française Apax Partners a conclu un accord pour acquérir 100 % du capital de NL Mental Care Groupe B.V (Mentaal Beter). Un placement judicieux puisque le prestataire néerlandais de services de santé est largement implanté aux Pays-Bas. Il fournit des soins de base aux adolescents et aux jeunes souffrant de problèmes de santé mentale légers. La plateforme propose notamment des consultations à distance avec des thérapeutes professionnels. Ces appels sont remboursés par les communes et par les assureurs maladie de plus de 18 ans. Selon son directeur, Martin de Heer, Mentaal Beter est un avant-gardiste dans la manière dont il fournit des soins. L’utilisation des outils de visiophonie et des applications de santé mentale en ligne représentent les meilleures pistes de la médecine du futur. Selon lui, c'est un concept très intéressant pour les investisseurs.
Les entreprises étrangères se concentrent ainsi de plus en plus sur la prise en charge de patients étrangers, notamment néerlandais. La société Mindler fondée en 2018 en est un parfait exemple. À l'origine, elle est un fournisseur suédois de thérapie en ligne qui fait de la publicité avec des panneaux d'affichage. Elle propose à tout le monde un accès à un psychologue dans les 24 heures. Déjà active aux Pays Bas et en France depuis 2019, une expansion dans d'autres pays européens est prévue. En Suède, c'est le plus grand fournisseur commercial de soins de santé mentale en ligne avec 250 psychologues affiliés. Tous les patients sont traités à distance via une connexion vidéo et l'application. Cependant, la situation est différente en Belgique, explique Tom Van Daele, psychologue clinicien et chercheur à Thomas More Hogeschool. « Si la plupart des organisations de santé mentale sont financées uniquement par le gouvernement, la pandémie, entre autres, a permis que de plus en plus d’applications de cybersanté soient soutenues par du capital-risque. » Par exemple, Pillar Chat et BloomUp. Néanmoins, il n’existe toujours pas un réel marché d'organisations de santé mentale en Belgique, comme c'est le cas aux Pays-Bas.
Un secteur difficile à changer
Cette différence de financement est principalement due à l'organisation même du secteur de la santé belge. Les Pays-Bas sont bien plus avancés dans le développement de la santé digitale. La Belgique a d’ailleurs récemment mis en place une plate-forme de cybersanté qui implique des conditions d'admission strictes. Ainsi, ce type de prise en charge dématérialisée reste assez rare partiellement implantée. « Les raisons sont complexes. Et la numérisation des soins mentaux en Belgique n'en est qu'à ses débuts. L'influence des assureurs maladie est beaucoup plus répandue aux Pays-Bas qu'en Belgique. De plus, ici les établissements de soins ainsi que les professionnels de santé sont assez réticents à l'égard du profit social. Cela ralentit la mise en place des technologies dans ce système relativement fermé. »
Une évolution qui va prendre du temps
La Belgique est-elle pour autant prête à éviter l’utilisation des applications mobiles médicales dans son secteur de santé ? Pas si sûr ! D’après le chercheur et psychologue clinicien, Van Daele, elles seront simplement très contrôlées et limitées. D’ailleurs, dans le cadre de l'initiative mhealthbelgium, de plus en plus d'efforts sont déployés pour faciliter l'accès à ces applications. Et il en existe de nombreuses autres que les personnes peuvent consulter via onlinehulp-apps.be. De cette manière, le secteur de la santé belge intègre petit à petit des outils numériques. À court terme, Van Daele s'attend également à ce que les premières applications de santé soient remboursées par le gouvernement belge. Par exemple, l'Institut national de l'assurance maladie et invalidité (NIHDI) prend déjà en charge l'application MoveUp Coach qui accompagne les patients et les prestataires de soins après une prothèse totale de hanche ou de genou.
Selon Van Daele, les strictes exigences de Mobile Health Belgium ralentissent cette digitalisation des soins. « Les applications sont vérifiées et doivent répondre à un certain nombre d’exigences de base. Elles doivent, par exemple, avoir un marquage CE européen, ce qui signifie que les applications GGZ sont quelque peu contournées. Elles sont aussi soumises à différents critères via une pyramide de validation », précise-t-il. Il souligne également que « la plupart des applications actuelles sont très limitées et seulement développées à petite échelle par des organisations individuelles. Celles-ci sont rarement ou pas encore intégrées dans des systèmes plus larges (eHealth) en Belgique. »
Mieux soigner et guider les patients
Si l’utilisation d’applications médicales ne fait que commencer, tout laisse à croire qu’elles sont la bonne alternative à développer dans les années à venir. Celles déjà présentent sur le marché illustrent tous les jours l’immense utilité qu’elles représentent. Evoluno, une application pour promouvoir le bien-être mental des employés, n'est qu'un exemple parmi tant d’autres. Son cofondateur, Alexandre Vandermeersch, a d’ailleurs constaté qu'environ la moitié des personnes souffrant de troubles mentaux n'ont jamais osé demander de l’aide. La raison principale souvent évoquée est l’abondance d’informations sans garanti d’être bien pris en charge. " Ce n'est pas parce que les personnes suggèrent via les réseaux sociaux (Facebook) des noms de psychologues que les patients auront accès au traitement qu’il leur faut. Et lorsque vous cherchez sur Internet, vous êtes souvent inondé de listes de nombreux noms et acronymes que vous ne comprenez pas toujours. "
Quoi qu’il en soit, Alexandre Vandermeersch considère la cybersanté comme une tendance en constante évolution, y compris en Belgique. « Le premier trimestre 2021 a été une période au-delà de toutes nos espérances à l'international. Nous nous sommes associés à eHealth Valley, un studio bruxellois qui vise à permettre aux start-up et aux organisations de santé numériques d’être opérationnelles en cas de prochaine vague ou même de pandémie.» En plus d’eHealth Ventures, Evoluno a également reçu le soutien d'un fonds pré-amorçage appelé Smyle Ventures. Une avancée notable qui permet à l’application de lancer une première ronde de financement externe. « Pour le capital-risque, la promesse du numérique combinée à l'impact sociétal bénéfique à une meilleure santé est bien là. Je m'attends donc à ce que l'intérêt pour la cybersanté ne fasse qu'augmenter à l'avenir. »
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