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La dernière fois que nous nous sommes entretenus avec Ida Tin, fondatrice et présidente de Clue, son application éponyme comptait 1,5 million d'utilisateurs. Six ans plus tard, on en compte plus de 13 millions dans le monde. L'entreprise allemande emploie désormais 70 personnes et a levé plus de 30 millions de dollars en capital de croissance. En outre, Clue a annoncé la semaine dernière qu’elle avait reçu l'approbation de la FDA pour lancer Clue Birth Control, une forme de contraception entièrement numérique.
C'est en 2016 qu'Ida Tin introduit le terme femtech, appelation désignant toutes les technologies destinées à la santé des femmes. Comment voit-elle ce terme aujourd’hui? "La Femtech est liée à un changement social et culturel beaucoup plus large qui a eu lieu ces dernières années. Des sujets tabous, tels que les menstruations, sont devenus ouverts à la discussion. La santé des femmes et la science qui la sous-tend font l’objet d’une attention accrue. Un mouvement # metoo a commencé. Pas seulement en Europe ou aux États-Unis, mais dans le monde entier. Un changement a été initié qui fera changer les choses pour toujours."
À l'époque, selon Tin, ce terme a permis de créer un lien entre toutes les entreprises qui travaillaient sur des produits innovants et indispensables pour et par les femmes. "Cela a donné plus de pouvoir à ces entreprises, mais a aussi permis de montrer que quelque chose se passait. Pour les investisseurs, pour la presse, pour d'autres entreprises. Je ne suis pas sûre que le terme rende encore parfaitement compte de la situation aujourd’hui, mais entretemps il a fait son travail."
Femtech en tant que catégorie dans l'Apple Store
Clue a également dépassé la description de sa propre application, dit Ida. "Clue a commencé comme un tracker de règles, un tracker de menstruations, faute d'un meilleur nom. Cela reste le nom sous lequel on nous trouve dans les app stores, par exemple. En attendant, grâce à l'énorme quantité de données et de connaissances accumulées, nous offrons bien plus que le simple suivi de vos règles. Nous n'avons tout simplement pas de terme approprié pour décrire ce que nous faisons. Nous sommes une accompagnatrice de santé féminine. Nous voulons guider nos utilisatrices tout au long de leur vie et être là pour elles dans tous les aspects de leur vie reproductive. Nous n'en couvrons pour l’instant qu'une petite partie et nous développons lentement notre application. Ce serait formidable si "femtech" devenait une catégorie dans Apple Store et Google Play afin que les utilisatrices soient mieux aidées à découvrir la gamme d’applications belles et utiles."
En 2016, Apple a annoncé une extension de son application Health. "On peut vraiment suivre toutes sortes de choses avec ça, à part ses règles. 'Vous êtes sûrs de ne pas avoir oublié quelque chose?' Ai-je partagé à l’époque. Quelques semaines plus tard, Apple m'a contacté. 'Nous avons peut-être bien oublié quelque chose… Pouvez-vous nous aider?' J'ai pensé qu'il serait utile de les aider en veillant à ce qu'ils disposent de l'outil de suivi de base. On pourrait voir Apple Health comme un concurrent de Clue, mais je crois en une vision plus large. La portée d'Apple est énorme, ils jouent également un rôle éducatif. Le fait qu'Apple ai accordé une place au cycle menstruel est un signe que la technologie féminine est là pour durer. D’autre part, je dirais que si les utilisatrices veulent vraiment suivre leur cycle de manière correcte, je pense que Clue est mieux adapté."
À la recherche d'un modèle de revenus
Depuis la création de Clue, la société a levé plus de 30 millions de dollars en capital de croissance. Dans une interview accordée à Business Insider en 2016, Tin révélait que Clue, avec 2,5 millions d'utilisatrices actives et neuf millions de capital de croissance, n'avait pas encore de modèle de revenus. "Nous ne savons pas encore comment nous allons gagner de l'argent, mais je suis sûre de ne pas vouloir vendre de données", avait-elle déclaré à l'époque.
L'entrepreneur technologique a tenu cette promesse. Depuis l'année dernière, Clue a rendu payante l'utilisation de l'application. "Pour être honnête, il n'y avait pas grand-chose à vendre au début", dit Tin. "Les applications menstruelles étaient devenues un produit gratuit. Nous prenons soin d’informer nos utilisatrices : vous ne recevrez rien de spécial si vous achetez notre application premium, mais en le faisant, vous soutenez la science et nous vous promettons que vos données ne seront pas vendues. Heureusement, les gens étaient prêts à payer pour cela. Au fil du temps, nous avons été en mesure de proposer de plus en plus de fonctionnalités dans la partie payante de l'application. Je ne peux pas encore en dire trop à ce sujet, mais nous avons investi beaucoup de temps dans l'expansion de Clue + et espérons satisafaire de nombreux utilisatrices avec cette formule."
L'un des nouveaux ajouts à Clue est Clue Birth Control, une forme de contraception entièrement numérique. Selon Clue, l'application peut aider les utilisatrices à éviter une grossesse en se basant uniquement sur la date de début des règles de l'utilisatrice. Clue calcule ensuite les jours où une utilisatrice de l'application peut tomber enceinte en se basant sur des modèles statistiques. Clue Birth Control n’est pas le premier système de contraception numérique à recevoir l’approbation de la FDA pour entrer sur le marché. La première était Natural Cycles, une application qui invite également les utilisatrices à prendre leur température corporelle tous les matins. Son approbation en 2018 a d’ailleurs été controversée. En effet, elle a coïncidé avec l’annonce que l'application avait provoqué des dizaines de grossesses non désirées en Suède.
Un lien plus rapide entre la science et l'utilisateur final
Dans l’entretien précédent avec SmartHealth, Tin déclarait vouloir collaborer davantage avec les établissements d'enseignement et de recherche afin que Clue puisse donner encore plus de sens aux données qu'ils collectent. "Nous souhaitons ensuite partager ces nouvelles informations directement avec les utilisatrices de notre application, afin que les femmes puissent non seulement lire des informations avérées sur leur santé, mais aussi être au courant des toutes dernières évolutions. Nous voulons raccourcir ce long délai qui s’étend des chercheurs aux publications pour le groupe professionnel, puis au fournisseur de soins de santé et enfin au patient. Il doit y avoir un lien plus rapide entre la science et l'utilisateur final", déclarait Tin en 2016.
À cet égard aussi, Clue a fait de nombreux progrès au cours de l’année écoulée. Clue collabore désormais avec des instituts de recherche et des cliniciens du monde entier, notamment à Oxford, en Colombie et à l'Université de Stanford, pour répondre à des questions de recherche spécifiques de nature non commerciale. Pour ce faire, Clue ne partage que les données qui ont un rapport direct avec la question du chercheur, et toutes les données sont toujours dépourvues de facteurs d'identification tels que les adresses e-mail, les noms et les adresses IP. "Nous avons mené des recherches pointues sur la manière dont les gens du monde entier parlent des règles, sur les schémas d'humeur que l’on peut identifier autour de l'ovulation, sur la manière dont les femmes perçoivent l'utilisation des préservatifs et sur la question de savoir si la pollution atmosphérique affecte la variabilité de la durée du cycle." Tin explique comment Clue a réussi à collecter régulièrement des fonds pour la recherche ces dernières années grâce aux données provenant de son application de suivi des menstruations. "Rétrospectivement, c'est aussi un modèle de revenus intéressant", s’amuse l'entrepreneur.
Toute personne souhaitant utiliser Clue accepte dans les conditions d'utilisation que ses données puissent être partagées de manière anonyme avec des partenaires de recherche sélectionnés sur une base non commerciale. Tin souligne combien il est important pour les entreprises d'être conscientes des données de leurs utilisateurs et de ne jamais en faire mauvais usage. "Ces dernières années, certaines entreprises femtech ont fait des choses contraires à l'éthique avec les données. C'est dommage et décevant et cela entraîne le fait que les gens ne savent plus bien à quelle entreprise ils peuvent encore faire confiance. Je pense que c'est une bonne chose que les gens soient de plus en plus conscient de l’importance que revêt leur vie privée."
Récemment, Clue a franchi des étapes pour devenir une entreprise certifiée, notamment pour l'approbation par la FDA de Clue Birth Control. "Ce processus de certification et de normalisation est très difficile et prend beaucoup de temps. Une telle certification entraîne certainement des retards dans l'innovation, mais elle rend également une entreprise beaucoup plus mature d'un seul coup. Il faut tout faire selon une procédure standard et être très organisé."
Un lieu où l’on se sent chez soi
Clue souhaite-t-elle se rapprocher du système des soins de santé? "Nous voulons absolument être plus proches de l’univers des soins de santé, car nous tenons à nous impliquer le plus étroitement possible dans la vie de nos utilisatrices. Ce qui inclut leurs soins de santé. Cependant, dès le début de Clue, nous avons pris la décision stratégique de devenir une marque directement disponible pour les consommateurs et de ne pas avoir à dépendre des compagnies d’assurance maladie ou du système de soins de santé. Je crois que nous nous en rapprochons, mais nous ne perdrons jamais de vue notre mission. Nous avons fondé cette entreprise parce que nous voulions faire quelque chose de significatif pour les personnes ayant un cycle. Nous voulons créer des valeurs pour nos utilisatrices, et non développer un produit qui devrait s’adapter à toutes les compagnies d'assurance maladie. Mais si un fit est possible, alors bien sûr nous ne l’exclurons pas."
Quels sont les souhaits de Tin pour l'avenir ? "J’aimerais que Clue devienne un lieu où l’on se sente chez soi pour poser des questions sur son corps et sa santé, où l’on est vue, entendue et prise au sérieux. Si nous pouvons le faire à l'échelle mondiale, ce serait formidable. À long terme, j'espère pouvoir jouer un rôle important dans toutes les phases de vie que traversent nos utilisatrices."
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