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Les données piratées ou qui ont été divulguées sciemment représentent de plus en plus une source précieuse et unique pour la science. Mais est-il éthiquement justifiable de l’exploiter ? Un dilemme fréquent auquel de nombreux scientifiques sont confrontés. Les chercheurs Marcello Ienca et Effy Vayena, de l'université ETH de Zurich, en Suisse, ont récemment étudié le sujet. Ils révèlent leur conclusion dans un article publié dans la revue scientifique Nature Machine Intelligence. SmartHealth s'est entretenu avec l'un d’eux pour faire le point.
Le document évoque clairement les limites éthiques de l'utilisation de données piratées à des fins scientifiques. Ainsi, Marcello Ienca et Effy Vayena ont formulé six règles que les chercheurs devraient idéalement respecter avant d’exploiter ce type d’informations. Ils se réfèrent notamment à des règles préalablement élaborées pour définir les principes éthiques. Ils appuient, entre autres, sur le rapport Belmont de 1978 et la Convention des droits de l'homme et la biomédecine de 1999, qui garantit la protection de la dignité humaine. L'objectif de leur article est de sensibiliser le monde universitaire et de susciter un débat public. Selon les chercheurs, la fréquence et l'ampleur des hacks d'aujourd'hui nécessitent que la communauté scientifique s’y intéresse avec attention. De plus, ils évoquent un manque de limites claires des frontières juridiques et éthiques.
L’ébauche des premières directives
En tête de liste des bonnes questions à se poser, ils mentionnent l'unicité des données piratées. En d'autres termes, les informations sont-elles si uniques qu'elles ne peuvent être obtenues nulle part ailleurs ? Si c'est le cas, cela vaut la peine de l'envisager, à condition que les autres critères établis soient pris en compte. Marcello Ienca et Effy affirment que les bénéfices sociaux de l'utilisation de données piratées devraient être mis en évidence dans une analyse risques-avantages. Il est également important de préciser si les personnes qui apparaissent dans les données piratées ont donné leur consentement à la science. Si ce n'est pas le cas, les retirer de la recherche. Ils soutiennent que les scientifiques devraient indiquer clairement quand le consentement n'a pas été demandé. En outre, ils devraient être obligés d'indiquer comment ils ont obtenu les données piratées. Enfin, le règlement d'Ienca et Vayena stipule que, dans l'idéal, l'autorisation doit être demandée à un comité d'examen institutionnel ou à un comité d'éthique indépendant.
Quels sont les risques à considérer ?
L'un des auteurs de l'article est Marcello Ienca, chercheur en éthique et politique de la santé au département des sciences et technologies de la santé de l'ETH Zurich. Il explique à SmartHealth qu'il existe plusieurs facteurs dangereux induits par l’exploitation des données piratées accessibles au public. « L'un des risques est de susciter de la méfiance. La confiance du public est de la plus haute importance pour la science. Sans elle, la science n'est plus en accord avec la société. En raison de la fréquence de la cybercriminalité, les données piratées seront de plus en plus disponibles. Si nous les traitons sans limite, le risque est grand de briser cette relation saine entre la science et la société. De plus, nous allons abaisser les normes d'éthique et d'intégrité de la recherche scientifique. Enfin, nous risquons de nuire directement ou indirectement aux personnes concernées. Certaines données doivent rester confidentielles.»
L'éthique dans les soins de santé
Marcello Ienca explique que les données piratées dans le secteur médical doivent être traitées avec beaucoup de précautions. « Ces informations sont éthiquement sensibles, quel que soit le secteur. Cependant, les données médicales le sont encore plus. Par conséquent, la recherche basée sur des informations piratées est susceptible d'être encore plus problématique d'un point de vue éthique que d'autres recherches effectuées avec des données volées. En outre, les chercheurs du secteur de la santé ont une plus grande responsabilité pour assurer la confidentialité des informations exploitées. Lorsque ces derniers sont impliqués dans des pratiques clairement discutables, cela peut favoriser la méfiance. Et ça n’augure rien de bon pour l’image de la santé publique. »
Le dilemme des données médicales
L'utilisation de données non éthiques dans le monde médical n’a pas suscité une attention particulière ces dernières années. Pourtant par le passé, l'utilisation de ces informations volées non pas par piratage, mais par coercition, posait des dilemmes majeurs. Pendant la Seconde Guerre mondiale, des médecins nazis ont délibérément fait congeler des prisonniers dans des camps de concentration afin de réaliser diverses expériences. John Hayward, expert en hypothermie à l'université de Victoria au Canada, a analysé les résultats de ces recherches dans les années 1980. Il déclarait à l'époque qu'il aurait préféré ne pas s’en servir, mais qu'il n’existait pas d'autre solution. Selon lui, ne pas les analyser aurait été tout aussi mauvais.
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