Newsletter:
Pendant des années, le « superordinateur » Watson Health a incarné le potentiel de l'intelligence artificielle dans les soins de santé. Il y a quinze jours, IBM a annoncé qu’il vendait les parties qui se concentrent sur ses données et ses analyses de santé. C’est la société de capital-investissement Francisco Partners qui en est désormais le nouveau propriétaire. Une décision stratégique, mais qui soulève quelques regrets. Nicky Hekster est un ancien Technical Leader Healthcare & Life Sciences chez IBM et ambassadeur de Watson au Benelux. Pour lui, « c'est dommage, mais l’entreprise a donné le ton avec Watson Health. »
La vente des unités commerciales de Watson Health n'est pas une grande surprise. Le Wall Street Journal a rapporté au début de l'année dernière que le projet Watson Health n’est pas rentable depuis plusieurs années. Il réalisait pourtant un chiffre d'affaires annuel de presque un milliard de dollars.
La banque d'affaires Morgan Stanley aurait été approchée pour étudier la possibilité de vendre Watson Health. Cette rumeur a été renforcée au début du mois lorsque le site d'information américain Axios a rapporté qu'IBM avait fait appel à BofA Securities en décembre pour trouver de nouveaux acheteurs potentiels. C’est chose faite. La société de capital-investissement Francisco Partners en est désormais le nouveau propriétaire. Avec cette vente, une époque semble s'achever, celle commencée 12 ans auparavant. Et une nouvelle ère vient de commencer !
La montée en puissance de Watson
IBM développe des systèmes pointus depuis des décennies. Il s'agit d’outils informatiques qui se basent sur les connaissances d'experts humains pour résoudre un problème dans un domaine spécifique. Ce processus a pris de l'ampleur en 2010 avec la première version développée du superordinateur Watson. Il porte le nom du fondateur et premier P.-D.G. d'IBM, Thomas J. Watson.
Ce superordinateur est capable d'interpréter la parole humaine et de répondre à des questions complexes grâce à l'intelligence artificielle (IA). Watson fonctionne sur la base d'une recherche rapide comme le fil d’actualité dans les journaux, les guides, les livres, les encyclopédies, les publications scientifiques, les sites web, etc. Watson est également capable d'estimer la fiabilité de la réponse. Les principales évolutions qui rendent cela possible sont les sources de données numériques disponibles, l'augmentation de la puissance des ordinateurs et les développements dans le domaine de l'internet et des services en nuage. Le système informatique d'IA a été au cœur de toutes les attentions (y compris à l’international) en 2001 lorsqu'il a battu les meilleurs participants au jeu télévisé américain Jeopardy !
Watson dans les soins de santé
Watson est utilisé dans divers domaines, tels que le marketing, l'économie, l'éducation et la météorologie. Mais, c'est la grande quantité de données non structurées dans les soins de santé qui offre des possibilités sans précédent.
Les médecins gardent une trace de tout. Qu'il s'agisse de notes sur papier, de courriels ou de résultats saisis dans un dossier électronique du patient. En tant que système expert d'IA, l'ordinateur aide à résoudre des problèmes de santé complexes. Il partage les connaissances sur un certain sujet à grande vitesse et avec une fiabilité optimale. L'application envisagée par IBM était déjà très élaborée. Le superordinateur répond à des questions concernant la meilleure méthode de traitement pour un patient spécifique ou le médicament le plus efficace pour un certain type de cancer.
Le maintien à jour des connaissances médicales exige beaucoup des professionnels de la santé. En tant que médecin, il est impossible de passer en revue des centaines de milliers d'articles médicaux pendant son temps libre. Pourtant, les dernières connaissances scientifiques sont nécessaires au processus de décision clinique. C'est pourquoi IBM a mis au point Watson for Oncology, un outil d'aide permettant aux professionnels de se tenir rapidement au courant. Ces dernières années, IBM a également introduit sur le marché Watson for Clinical Trial Matching et Watson for Genomics.
Acquisitions et partenariats
Depuis 2013, IBM propose un service cloud permettant de prêter la puissance de calcul de Watson à des tiers, tels que des institutions médicales et des développeurs d'applications. Les hôpitaux, par exemple, engagent le superordinateur pour soutenir les soins oncologiques. En quelques secondes, Watson peut rechercher des millions de pages d'informations disponibles et les relier à la base de données des patients.
Diverses entreprises sont acquises et des partenariats stratégiques sont conclus avec des sociétés telles que Medtronic, Johnson & Johnson et le célèbre centre anticancéreux américain Memorial Sloan Kettering. Plus d'un millier de médecins collectent les données d'une multitude de patients atteints de cancer et les utilisent pour entraîner le superordinateur à comprendre encore mieux le cancer et amener le système informatique au niveau d'un expert. En outre, Watson enseigne aux médecins stagiaires de l'institut du cancer. Parmi les autres instituts qui travaillent avec Watson figurent le Anderson Cancer Center de l'université du Texas et la Mayo Clinic.
Watson reste, Watson Health disparaît
Nicky Hekster a travaillé chez IBM pendant plus de 30 ans. Il est considéré comme un expert de Watson. En effet, le scientifique rejoint IBM en 1987, après avoir obtenu un doctorat en mathématiques à l'université d'Amsterdam. Pendant des années, il a été Technical Leader Healthcare & Life Sciences et également ambassadeur Watson pour IBM Benelux. Il a participé à la première application de Watson après la victoire de l'ordinateur au jeu télévisé Jeopardy ! Le scientifique travaille maintenant comme professeur exécutif à l'école de commerce TIAS. Il regrette les développements actuels chez Watson Health. Néanmoins, il garde un bon souvenir de son expérience dans l'entreprise informatique. « IBM a été l'un des premiers à commencer à travailler avec l'IA dans les soins de santé et a donné le ton. Malheureusement, tous les développements ne peuvent pas toujours briller. »
Nicky Hekster indique que Watson ne disparaîtra pas des soins de santé. « Watson Health était une unité commerciale avec des applications très spécifiques et des ensembles de données ciblées. Le projet continuera d'exister en tant que plateforme logicielle. Les chercheurs obtiennent toujours de bons résultats avec elle. Et cela quel que soit le domaine d’exploitation. Cela est valable pour les soins de santé ou encore les sciences de la vie. IBM Research consacre également une grande partie de ses activités aux soins de santé. Par exemple, dans le domaine de l'imagerie médicale et de l'IA.
Selon M. Hekster, il existe plusieurs raisons à la vente de Watson Health. « Au début, nous avions de très bonnes idées, notamment avec l'oncologie. Mais l'accent a été mis sur treize types de cancer, au lieu de quelques-uns seulement. Ça a augmenté considérablement la difficulté. En raison de cette orientation générale, il est difficile de trouver une solution qui aille en profondeur. Pour certaines parties du monde, cela a fonctionné. Par exemple, en Asie, où il y avait à l'époque un grand nombre de patients, mais un manque de bons médecins. Toute aide était donc la bienvenue. Cependant, à l'Ouest, nous avions déjà de bons oncologues et ils n'étaient pas vraiment aidés par ce système d'experts. »
Patients et données américaines
Selon M. Hekster, le système était limité car le développement était principalement axé sur les États-Unis. Comme chaque langue du monde possède son propre vocabulaire, sa structure et son système, les développeurs ne pouvaient pas soudainement introduire des données médicales françaises dans le système programmé en anglais. Or, les recherches ont été menées principalement dans des instituts de recherche et des hôpitaux américains.
« En 2015, lorsque Watson Health a démarré, un certain nombre de parties ont été acquises. Cela nous a immédiatement donné beaucoup de données et de techniques pour avancer. Mais, il s'agissait de données provenant de patients américains provenant d’un système de santé américain. C'est donc déjà l'une des premières erreurs de l'IA : le biais des données. Un système d'IA qui a été formé sur un ensemble de données américaines ne peut pas simplement être appliqué en Europe. Nous n'avions pas la possibilité de modifier ces bases de données et d'ajouter les nôtres. »
« Trop de diversité dans les solutions et les groupes »
En plus de ces problèmes, Nicky Hekster a également constaté les difficultés pour une grande entreprise de rationaliser l'organisation lors de partenariats et d'acquisitions. « Nous avions de grands projets et avons également obtenu de bons résultats avec les partenariats et les entreprises acquises. Cependant, il existe également des dynamiques complètement différentes. Vous pouvez conclure des partenariats, acquérir des entreprises et embaucher des professionnels de la santé, mais cela ne signifie pas que les personnes sont immédiatement sur la même longueur d'onde au sein de la culture IBM. Cela prend un certain nombre d'années. Cela a entraîné le ralentissement de divers processus et le départ de plusieurs employés. Et pour les remplaçants, il n’est jamais évident de naviguer une entreprise comme un beau navire tout de suite. Une trop grande diversité dans les solutions et les groupes était un problème. »
Finalement, il s’agit d’un gros frein. Surtout lorsque le développement d’une technologie est combiné avec le monde médical. Cette situation est différente de celle des entreprises de medtech qui ont l'aspect médical dans leur ADN. « Je pense que nous avons fait une erreur à ce sujet au début. En tant que société informatique, nous devrions avoir un portefeuille d'applications médicales. Mais vous voyez que la plupart des grandes entreprises technologiques ne le font pas. Google, Amazon et Microsoft se concentrent davantage sur les services cloud d'IA que sur les applications spécifiques aux soins de santé. »
Services de clouds hybrides
IBM semble prendre la même direction. Dans les années à venir, l'accent sera mis sur les services de cloud hybrides basés sur des plateformes. Ce changement de cap a en réalité déjà été amorcé en 2019, lorsqu'IBM a acquis le fournisseur de logiciels libres Red Hat pour un montant record de 34 milliards de dollars. Les actionnaires auront donc également des attentes.
M. Hekster se souvient positivement de ses jours chez Watson Health. « J'ai essayé avec beaucoup d'enthousiasme et de plaisir de le vendre en Europe. Parfois les choses se passent bien et parfois moins bien. IBM a pris des risques. L’entreprise a d’ailleurs été l'un des premiers à utiliser l'IA dans le domaine des soins de santé. Nos équipes étaient très en avance sur leur temps et elles le sont toujours dans d'autres domaines. IBM a de belles perspectives à l’horizon, notamment dans les développements des clouds hybrides, de l'IA et de l'informatique quantique. »
masterclass sur l'intelligence artificielle dans les soins de santé
Smarthealth organise une masterclass de deux jours sur l'intelligence artificielle dans les soins de santé en 2022. Des conférenciers de premier plan issus du monde scientifique, des affaires, de la clinique et des jeunes start-ups donneront des conférences. La masterclass aura lieu les 31 mars et 1er avril 2022 (Bruxelles, Belgique) et en mai 2022 (Houten, Pays-Bas).
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !